L'action de ‘Umar selon Taha Hussein

[...] ‘Umar fut assassiné en l'an 23 de l'hégire, pas même un quart de siècle après la fondation de l'Etat. Ce court laps de temps ne s'est pas écoulé dans la quiétude et la stabilité. Au contraire, dix ans ont été employés à gagner les Arabes à l'Islam, un peu plus d'un an à reconvertir les Renégats, et le reste du temps à propager la religion au-delà du territoire, donc à combattre les Persans, à chasser les Byzantins de Syrie et d'Egypte, puis à gouverner ces provinces, lever des armées et poser les premiers jalons d'une politique pour la guerre et la paix, et d'une administration des affaires intérieures et extérieures. [...] les deux premiers califes créaient de toute pièce les solutions dans ce milieu bédouin qui n'avait aucun antécédent important dans l'administration, la politique ou la civilisation en général. Non seulement ils créaient mais ils pliaient à la discipline un peuple qui n'y était pas accoutumé et ils essayaient de lui inculquer les rudiments de la civilisation. ‘Umar en particulier fit de grands efforts dans ce sens. A peine découvrait-il un aspect de la civilisation des autres nations, qu'il l'examinait afin de l'adapter au tempérament arabe, à l'Islam, à cet Etat naissant dont la croissance et l'étendue n'ont pas tardé à dépasser les prévisions des penseurs et le savoir-faire des hommes d'action.

Quant au deuxième élément constitutif de ce régime, -l'aristocratie des Compagnons- il était destiné à disparaître avec le temps et l'avènement de nouvelles générations qui n'avaient plus la même distinction. On aurait dû leur donner un système qui leur assurât la manière d'être un calife, de le contrôler, de le punir, le cas échéant. Munis d'un tel système, les musulmans auraient évité la discorde qui suivit l'assassinat de ‘Uthmân : les uns –les Khârijites- défendaient farouchement la Tradition du Prophète et des deux premiers califes ; les autres exigeaient l'exclusivité du califat dans la maison du Prophète ; un troisième groupe s'acheminait vers une monarchie à l'exemple des Persans ou des Byzantins ; enfin un quatrième réclamait un régime consultatif sans en connaître les rouages. [...] il manqua aux deux premiers califes et à leurs amis les loisirs, l'évolution et les contacts avec une vie civilisée, facteurs indispensable à l'élaboration du système désiré. La génération suivante jouissait, elle, de ces conditions favorables, mais loin d'en tirer parti, elle s'est laissé séduire par l'orgueil et les fastes du pouvoir.

Source : Taha Hussein, La grande épreuve. ‘Uthmân, Paris, Vrin, « Etudes musulmanes », 1974, p. 31-32.

ImprimerImprimer