La femme au côté de l'homme

Dans un dialogue qu'elle mène avec Dame Raison, Christine évoque des livres dans lesquelles on insiste sur la faiblesse de la femme. On peut penser qu'elle fait allusion, entre autres, au texte d'Aristote que Thomas d'Aquin citait également (document 1). Dame Raison lui montre qu'au contraire, la femme est l'unique créature animale qui n'ait pas été tirée de la terre (le limon), et qu'elle n'a donc pas à avoir honte face à l'homme.

– Ma Dame, je me souviens qu'entre autres choses, après avoir longuement insisté que c'est par débilité et faiblesse que le corps qui prend forme dans le ventre de la mère devient celui d'une femme, l'auteur dit que Nature elle-même a honte d'avoir fait un ouvrage aussi imparfait que ce corps.

– Ah ! chère amie ! Tu vois là la grande folie, l'aveuglement irraisonné qui le poussa à dire de telles choses ! Comment donc ? Nature, elle qui est la chambrière de Dieu, aurait donc puissance sur le maître dont lui vient son autorité ! Car Dieu tout-puissant, en l'essence de sa pensée divine, avait de toute éternité l'idée d'homme et de femme. Et quand ce fut sa sainte volonté de tirer Adam du limon de la terre au champ de Damas et qu'il l'eut fait, il l'emmena au paradis terrestre, qui était et demeure l'endroit le plus digne en ce bas monde. Là il l'endormit et forma le corps de la femme d'une de ses côtes, signifiant par là qu'elle devait être à ses côtés comme une compagne, et non point à ses pieds comme une esclave – et qu'il devait l'aimer comme sa propre chair. Le Souverain Ouvrier n'aurait donc pas honte de créer et de former le corps féminin, et la nature, elle, s'en effaroucherait ? C'est le comble de la bêtise de dire cela. Et de plus, de quelle manière fut-elle formée ? Je ne sais si tu t'en rends compte ; elle fut formée à l'image de Dieu. Oh ! Comment se trouve-t-il des bouches pour médire d'une marque si noble ? Mais il y a des fous pour croire, lorsqu'ils entendent dire que Dieu fit l'homme à son image, qu'il s'agit du corps physique. Cela est faux, car Dieu n'avait point encore pris corps humain ! Il s'agit de l'âme, au contraire, laquelle est conscience réfléchissante et durera éternellement à l'image de Dieu. Et cette âme, Dieu la créa aussi bonne, aussi noble, identique dans le corps de la femme comme dans celui de l'homme. Mais pour revenir à la création du corps, la femme a donc été faite par le Souverain Ouvrier. Et en quel endroit fut-elle faite ? Au paradis terrestre ! Et de quoi ? Était-ce de vile matière ? Au contraire, de la matière la plus noble qui ait jamais été créée ! Car c'est du corps de l'homme que Dieu la créa.

Référence : CHRISTINE DE PIZAN, Le livre de la cité des dames (1405), trad. Eric Hicks et Thérèse Moreau, [Paris], Stock/Moyen Age, 2000 (1re éd. 1986), p. 54-55.

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