Lettre du pape Grégoire le Grand à l'évêque Sérénus de Marseille

On nous a rapporté qu'enflammé d'un zèle inconsidéré, tu avais brisé les images des saints, sous prétexte qu'on ne devait pas les adorer. Et certes, que tu aies interdit qu'elles fussent adorées, nous l'avons tout à fait approuvé, mais que tu les aies brisées, nous le blâmons [...]. Une chose est en effet d'adorer une peinture, une autre d'apprendre par une “histoire” (historia) peinte ce qu'il faut adorer. Car ce que l'écrit procurent aux gens qui lisent, la peinture les fournit aux incultes (idiotis) qui la regardent : parce que les ignorants y voient ce qu'ils doivent imiter, ceux qui ne savent pas lire y lisent ; c'est pourquoi, surtout chez les païens, la peinture tient lieu de lecture. Tu aurais dû y faire attention, toi qui habite au milieu des païens, de peur d'engendrer le scandale dans ces esprits sauvages, par cette flambée d'un zèle honnête, mais imprudent. Il n'aurait donc pas fallu briser ce qui a été placé dans les églises non pour y être adoré mais seulement pour instruire les esprits des ignorants. Et puisqu'un usage a permis, non sans raison, de peindre les histoires des saints dans des lieux vénérables, sans aucun doute, si tu avais agrémenté ton zèle de discrétion, tu aurais pu obtenir sainement ce que tu désirais et, au lieu de disperser le troupeau rassemblé, tu aurais rassemblé le troupeau dispersé [...].

Il te faut en effet convoquer les fils dispersé de l'Eglise et leur démontrer à l'aide de témoignages scripturaires qu'il n'est permis d'adorer aucune œuvre de main d'homme. [...] ensuite, tu ajouteras que, voyant devenir des objets d'adoration les images peintes qui avaient été faites pour édifier un peuple sans savoir (imperitus), afin que ceux qui ne savent pas lire, en voyant l'image narrative (historia), apprennent ce qui a été dit, tu as été secoué d'une émotion qui t'a fait ordonner de briser ces images. Puis tu leur diras : « si vous voulez avoir dans l'église des images pour des fins d'enseignement (instructio) pour lesquelles elles ont été faites anciennement, je permets qu'on en fasse et qu'on en possède sous toutes leurs formes ». et fais-leur remarquer que ce n'est pas la vision d'une histoire (historia) qui se déployait selon le témoignage de la peinture, qui t'avait déplu, mais cette adoration, qui avaient été adressées aux peintures d'une manière inconvenante. Et par ces paroles, en apaisant leurs esprits, rappelle-les à la concorde avec toi. Enfin, si quelqu'un veut faire des images, garde-toi de le lui défendre ; mais évite de toutes les manières qu'on adore les images. Mais que ta fraternité les avertisse avec sollicitude pour qu'à la vision de l'histoire (res gesta) ils ressentent l'ardeur de la componction et qu'ils se prosternent humblement dans l'adoration de la seule Trinité.

Source : Grégoire le Grand, Registrum epistolarum, XI, 10 ; CCL 140 A, p873-876. Traduction MENOZZI Daniele, Les images, l'Eglise et les arts visuels, Paris, Le Cerf, 1991, p.75-77. Cité par BOULNOIS Olivier, Au-delà de l'image. Une archéologie du visuel au Moyen Age, Ve-XVIe siècle, Paris, Seuil, 2008, p.87-89.

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