Le phénix comme symbole universel de mort et de renaissance

Le Phénix dans les sources classiques

Parmi les écrivains classiques, Hérodote est le premier à fournir une version détaillée du mythe. Dans sa description de l'Egypte, il écrit que le Phénix est un oiseau sacré qui ne visite que rarement les Egyptiens, soit tous les 500 ans, quand son géniteur meurt. Le volatile quitte alors l'Arabie, gagne le sanctuaire d'Hélios avec le corps de son père enveloppé de myrrhe et il l'ensevelit dans ce sanctuaire. « Pour transporter le corps, précise Hérodote, il façonne d'abord avec la myrrhe un œuf, de la grosseur de ce qu'il peut porter, et il essaie ensuite de voler avec cette charge. L'épreuve faite, il creuse l'œuf et y introduit son père, puis avec de la myrrhe encore, il enduit la partie de l'œuf qu'il a creusée et par où il a introduit son père, dont l'introduction rétablit le même poids ; et enveloppé de la sorte, il le transporte en Egypte au sanctuaire d'Hélios ». Hérodote considère que le récit du Phénix selon les Egyptiens n'est pas crédible. Il rapproche ce volatile du benou, vivant sur le saule sacré d'Héliopolis. Cependant, certains détails de son récit, comme l'apparition tous les 500 ans et l'ensevelissement du père, comme l'identification à une sorte d'aigle, ne se retrouvent pas dans les conceptions égyptiennes connues. Dans les descriptions recueillies, l'oiseau est d'abord identifié à une pie (XXVe siècle avant J.-C.) puis à un héron avec deux longues plumes qui sortent de l'arrière de la tête. L'une des interprétations données du texte de Hérodote est que le vol de l'oiseau manifeste les relations commerciales qui liaient les Egyptiens aux Arabes du Sud. Ces derniers étaient connus comme négociants actifs et, dès la seconde moitié du premier millénaire avant J.-C., ils dominaient le commerce des aromates et de la myrrhe avec l'Inde.

Les écrivains romains reprennent le mythe. En évoquant les espèces d'oiseaux et leurs caractéristiques, Ovide[1] constate qu'ils tiennent leur origine d'autres êtres, à l'exception d'un seul, qui se régénère et se reproduit lui-même : le Phénix, selon l'appellation donnée par les Assyriens. Ce n'est pas de graines ni d'herbes qu'il vit, mais des larmes de l'encens et du suc de l'amome[2]. Selon Ovide, ce volatile achève sa vie après cinq siècles d'existence, puis un petit phénix renaît du corps de son père, destiné à vivre un nombre égal d'années. « Avec l'âge, il devient plus fort, capable de porter un fardeau, il diminue le poids de son nid, et pieusement il l'emporte, et fait de ce nid un berceau et une tombe de son père ; et une fois arrivé, à travers les airs légers, dans la ville d'Hypérion, il le dépose devant les portes sacrées, au temple d'Hypérion ». Ce lieu est identique à celui d'Héliopolis et est également associé au soleil. Les récits d'Ovide et Hérodote se rejoignent donc sur plus d'un point. Tacite[3] leur fait écho. Il parle du Phénix dans un texte des Annales : « après un long cycle de siècles parvient en Egypte un oiseau, le phénix, qui fournit matière aux plus savants des indigènes et des Grecs de disserter abondamment sur ce prodige. Les points sur lesquels ils s'accordent et ceux qui, en plus grand nombre, restent douteux mais méritent d'être connus, il me plaît de les exposer. Consacré au soleil, cet animal diffère des autres oiseaux par la tête et par la nature des plumes ».

Pline l'Ancien[4] reprend également la légende du Phénix à deux reprises. D'abord dans le dixième livre de son Histoire naturelle qui contient l'histoire des oiseaux : le plus célèbre naît dans l'Arabie, écrit-il, non sans s'interroger sur le fait de savoir si son existence « n'est pas une fable ». Pline se réfère aux propos du sénateur romain Manilius qualifié de « très célèbre par ses connaissances » et premier Romain ayant parlé de cet oiseau extraordinaire : « vieillissant [le Phénix] construit un nid avec des branches de cannelle et d'encens; il le remplit de parfums, et il meurt dessus ; de ses os et de sa moelle il naît d'abord une sorte de vermisseau qui devient un jeune oiseau ; d'abord il rend les honneurs funèbres à son prédécesseur ; il porte le nid tout entier près de la Panchaïe, dans la ville du Soleil, et il le dépose sur un autel ». Dans le treizième livre de son œuvre encyclopédique, Pline mentionne une nouvelle fois le Phénix. En sus de la relation avec l'Arabie, des allusions au commerce et des précisions concernant le parfum et l'encens, son récit fait référence aux dattes « royales » de Babylone, à un dattier dans la région de Ghora[5] « qui périt et renaît lui-même en même temps que le phénix qui, croit-on, lui devrait son nom à cause de cette particularité ».

Hérodote est donc le premier des écrivains classiques à parler du Phénix, son récit constitue une matrice élaborée au contact de prêtres égyptiens. Après lui, les poètes, les mythographes, les astrologues et les naturalistes apportent d'autres détails sur cet oiseau fabuleux, certains sont concordants, d'autres discordants. La légende se concentre sur la mort et la renaissance de l'oiseau. Celui-ci est unique dans son espèce et, par conséquent il ne peut se reproduire comme les autres animaux. Lorsqu'il sent que sa fin est proche, il amasse des plantes aromatiques et forme une sorte de nid. Un nouveau Phénix naît, recueillant le cadavre de son géniteur, il l'enferme dans un tronc de myrrhe creux qu'il emporte jusque dans un sanctuaire et le dépose sur l'autel du soleil, pour y être brûlé par les soins des prêtres du dieu. Quant au sanctuaire associé au Phénix, il s'agit du temple d'Héliopolis selon Hérodote, du temple d'Hypérion selon Ovide et de l'île fabuleuse de Panchaia pour Pline l'Ancien.

  1. Ovide (43 avant J.-C.- 18 après J.-C.)

    Poète latin, il connaît la célébrité grâce à ses recueils de poèmes, les Amours, les Héroïdes, l'Art d'aimer et les Remèdes à l'amour. À l'âge de 18 ans, avec l'accord de son père, il s'embarque pour Athènes. Ce séjour en Grèce laisse une empreinte sur ses œuvres, notamment Les Métamorphoses. Il s'agit d'un poème de 12 000 hexamètres qui reprend les principaux récits de la mythologie grecque et romaine.

  2. Amome

    Plante aromatique utilisée dans les embaumements durant la période antique.

  3. Tacite (55-117)

    Historien et sénateur romain. Il est l'auteur de l'Agricola, ouvrage rédigé dans le contexte houleux du règne de Nerva. Sous le règne de Trajan, Tacite écrit La Germanie, région où se trouvait l'empereur avant sa prise de pouvoir. Il s'interroge sur la pertinence de la poursuite de la politique de conquête. En 100, il se fait l'avocat de la province d'Asie contre l'ancien gouverneur Marius Priscus. Il en devient lui-même gouverneur de 112 à 114 et accède, par là même, à la plus haute fonction politique.

  4. Pline l'Ancien (23-79 après J.-C.)

    Écrivain romain du Ier siècle, auteur d'une monumentale encyclopédie intitulée L'Histoire naturelle (Naturalis historia), qui compte 37 volumes. C'est le seul ouvrage de Pline l'Ancien qui soit parvenu jusqu'à nous. Ce document a longtemps été la référence en sciences et en techniques. Pline a rassemblé le savoir de son époque sur des sujets aussi variés que les sciences naturelles, l'astronomie, « l'anthropologie », la psychologie, l'histoire, etc.

  5. Ghora

    Région des environs d'Alexandrie, en Egypte.

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