Les cultes dans l'Afrique du Nord antique

Les grands dieux du panthéon nord-africain

Les peuples de Libye ont été soumis à des influences religieuses multiples : égyptienne, phénico-punique, grecque et romaine. La documentation provient essentiellement des textes épigraphiques découverts en grand nombre dans les vestiges des temples et des sanctuaires, ainsi que sur d'autres sites archéologiques. Cette documentation atteste que les Libyens croyaient à la fécondité et à la procréation, ainsi qu'à des forces naturelles censées les protéger des génies[1] malfaisants. En revanche, elle ne permet pas toujours de retrouver l'origine des dieux. Du fait des contacts commerciaux et culturels, les dieux libyens se rapprochent des dieux de la région méditerranéenne : ils représentent souvent les mêmes pouvoirs et les mêmes vertus.

Carte de l'Afrique romaine © SA, CERHIO

Ainsi, les études concernant l'histoire de l'Afrique antique citent une dizaine de dieux, tels Gurzul[2], taillé dans le bois, chez les Mazaces[3], ou encore Bona Dea[4], une déesse de la féminité. Il y a aussi des divinités d'origine africaine, comme Mercure, fils de Jupiter et de Mina, fille d'Atlas, dont les enfants, dans la tradition gréco-romaine, deviennent des héros. Chaque région et chaque ville ont un dieu ou une déesse de la fécondité, mère et nourrice, qui donne et entretient la vie animale et végétale, la principale étant Tanit[5], qui devient Caelestis à l'époque romaine. On trouve aussi l'Hercule[6] libyen ainsi qu'Hermès[7]. En outre, selon Hérodote[8], ce sont les Libyens qui vénèrent en premier lieu le dieu Poséidon[9], comme ils adorent Antée et Athéna[10], déesse de la sagesse. Dans l'Antiquité la plus reculée, le dieu Neptune est perçu par les Libyens essentiellement comme une divinité des eaux douces, qui assurait également la guérison de plusieurs maladies.

Bona Dea était une divinité romaine de la chasteté importé à Rome dans la première moitié du IIIème siècle avant J.C., et après la prise de Tarente en -272. Cette divinité ne portait pas de nom ou plutôt il était gardé secret et censé n'être jamais prononcé ; c'est ainsi qu'on la surnommait : "Bona Dea" voulant dire bonne déesse.
Bona Dea était une divinité romaine de la chasteté importé à Rome dans la première moitié du IIIème siècle avant J.C., et après la prise de Tarente en -272.

Dès le 2ème millénaire avant notre ère, de nombreux dieux d'origine égyptienne, parmi lesquels la déesse Isis autre symbole fort de la femme, épouse et mère, force vitale, sont vénérés dans plusieurs parties du bassin méditerranéen. L'oracle d'Ammon, suprême divinité chez les Libyens, est particulièrement fréquenté par les Eléens[11]. Ce dieu est orné de cornes et célèbre pour sa véracité, mais il est symbolisé par un bélier à tête couronnée du disque solaire, comme on en retrouve des images dans la région de l'Atlas. Les Libyens ne connaissent que le théonyme « Ammon », sans H, mais le dieu est honoré par les Carthaginois sous le nom de « Baal »[12]«  Hamon », qui serait, d'après certains historiens, l'Ammon égyptien honoré dans toute l'Afrique du nord. Le mot signifie «  Possesseur et Maître de la chaleur » ou « dieu du soleil ». Certains auteurs contemporains pensent que le nom dérive du radical H M M, qui signifie « être brûlant », Baal Hamon pouvant être aussi le « Maître des brasiers ». On connaît aussi le nom de Baal Quarnaim qui veut dire « Le Maître aux deux cornes », qui est devenu à l'époque romaine Saturnus Balearanensis. Baal Hamon est le grand dieu protecteur de l'Afrique, qui est assimilé à l'époque romaine au dieu Saturne, mais il cède la préséance à Tanit Pené Baal, Tanit face de Baal (ou du «  le grand maître »), comme l'attestent les inscriptions votives qui le placent presque toujours en deuxième position.

Parmi les célèbres déesses libyennes, Tanit occupe en effet une place prépondérante. Son nom se trouve sur les inscriptions des stèles sous la forme de TNT ou TYNT, associé au symbole d'un triangle aux angles égaux surmonté d'un trait horizontal et d'un cercle, figure anthropomorphe appelée le « signe de Tanit ». L'étymologie de son nom reste inconnue, même si on peut le rapprocher du mot Nit ou Yet qui signifie « seul ». Une inscription latine découverte à Aumale[13] parle d'une cérémonie en l'honneur de Tonaït. L'origine de cette déesse pose encore des problèmes pour les chercheurs, qui divergent dans leurs conclusions. Certains spécialistes nient l'origine phénicienne de cette déesse et justifient ceci par l'absence de son nom dans les textes retrouvés à Ras Schamra (Ougarit) et à Tyr. D'autres affirment au contraire que son origine est phénicienne, mais qu'elle portait un nom différent en Phénicie qui devint à Carthage « Tanit ». Enfin, certains historiens n'ont pas écarté l'idée que Tanit était une déesse libyenne, car elle avait été vénérée par les Berbères et surtout par quelques agglomérations tribales qui ont donné une priorité particulière et symbolique à la femme au sein de la communauté libyenne et l'ont prise comme symbole de la force qui dynamise la fertilité et la procréation.

Stèle du tophet de Carthage : le signe de Tanit
Carte de la Phénicie © SA, CERHIO

Dans ce cadre mythologique, les populations antiques distinguent entre les dieux et les demi-dieux. On peut invoquer ici l'existence de divinités rustiques, des Nymphes[14] ainsi que d'autres divinités. A l'époque romaine, Jupiter occupe le sommet de cette hiérarchie. Tous les exploits de Rome émanent de la générosité de ce dieu, qui occupe l'éther ou la région supérieure du ciel. Il surmonte tout, personne ne peut le vaincre. Il assiste les faibles, et soutient le monde. Il alimente toute chose et tous les êtres vivants. Il a le pouvoir de pousser, d'arrêter, d'affermir et de renverser. Il a le pouvoir de mettre fin à la sécheresse. Plusieurs fêtes sont organisées en sa faveur. On lui offre le 15 de chaque mois de mars, mai, juillet, octobre et le 13 des autres mois un sacrifice sous forme d'une brebis blanche. Au nord-ouest de la Libye réside Atlas où il rencontre un jour Persée : « Prince, lui dit Persée, si tu tiens à une illustre naissance, Jupiter est mon père...je te demande l'hospitalité et le repos ». Mais Atlas garde le souvenir d'un ancien oracle de Thémis qui l'a mis en garde : « ...un jour tes arbres seront dépouillés de leurs pommes d'or, et cette proie fera la gloire d'un fils de Jupiter ». Les filles de ce géant sont mariées à des dieux ou encore, sous le nom d'Hespérides, elles protègent les pommes d'or. On trouve chez certains auteurs Atlas assimilé à un autre géant : le fameux Antée. Pour braver le danger de la sécheresse, les Libyens recouraient à la magie ou à la bénédiction des dieux. Les anciens racontent qu'un Maure[15] a persuadé le successeur de Suetonius Paulinius de recourir aux incantateurs et à la magie pour faire tomber la pluie : selon le récit relaté, ce procédé a réussi miraculeusement.

  1. Génie

    Cette figure relève, selon G.ch.Picard, « d'une évolution du sacré qui personnalise le ‘génie' mais en lui laissant encore un caractère vague, moins riche que celui d'un dieu ». Les Romains font du genius la divinité tutélaire tant des personnes que des lieux. C'est ce qu'atteste Servius (ad.Georg.I, 302) : « Les anciens disaient que le genius est un dieu naturel de chaque lieu, de chaque chose et de chaque homme ». Les génies occupent une place centrale dans les croyances traditionnelles aux pays du Maghreb, surtout aux bords des fleuves et à proximités des sources.

  2. Gurzul

    Divinité qui correspond à Mars chez les Romains.

  3. Mazaces

    Tribu ou regroupement de tribus auxquelles se rattachent les Amazighs.

  4. Bona Dea

    (la Bonne Déesse) est une divinité romaine de la chasteté à la personnalité assez floue, qui fut importée à Rome dans la première moitié d'IIIème siècle avant JC, après la prise de Tarente en -272. Son nom d'origine aurait été Damia, une déesse de la fécondité, liée à Déméter, son culte était rigoureusement interdit aux hommes. Elle avait son temple à Rome, sous le mont Aventin.

  5. Tanit

    Déesse de la fécondité d'origine berbère, reprise par les Phéniciens.

  6. Hercule

    Héraclès dans le monde grec. Héros connu pour ses nombreuses aventures et ses « douze travaux ». L'Hercule romain connaît des aventures qui ont lieu en Italie.

  7. Hermès

    Dieu grec, messager des dieux et des voyageurs. C'est le nom qui est donné par les archéologues à la tête de la statue bicéphale découverte au début du XXe siècle. Ce n'est plus le cas à la fin du siècle.

  8. Hérodote (v. 484-v. 420 av. J.-C.)

    Ce « père de l'Histoire », selon Cicéron, avance que le culte de Poséidon est originaire de Libye et que c'est là que les Grecs l'ont emprunté (Livre II, 50). La nature de ses nombreux voyages le range également parmi les premiers géographes. Son œuvre maîtresse s'intitule : Dialogue entre Otanès, Mégabyse et Darius. Il s'agit de l'un des premiers documents authentiques où se trouvent distingués et comparés les divers types de gouvernement renvoyant aux concepts de « démocratie », d'« oligarchie », de « monarchie, etc. D'après lui, le culte d'un dieu marin est attesté en Afrique chez les Libyens bien avant la fondation de Carthage : « ceux qui habitent autour du lac Tritonis (golfe de Gabes) dit-il, sacrifient à Athéna et après elle à Triton et à Poséidon » (Histoires, IV, 188).

  9. Neptune (ou Poséidon)

    Dans la mythologie romaine, Neptune est dieu des eaux vives et des sources. Il est assimilé au dieu des océans de la mythologie grecque, Poséidon. En conséquence, Neptune prend une grande partie des caractéristiques et attributs de Poséidon. Pourtant, Neptune est à l'origine une divinité de conception latine. Sa transformation en maître des océans correspond à une période où la puissance romaine commence à se tourner vers le contrôle des voies maritimes de la méditerranée : les Latins ont su transformer une ancienne divinité des eaux douces en dieu des mers, en adéquation avec les mutations de leurs civilisation.

  10. Athéna

    Fille de Zeus et de la titanide Métis. Divinité éponyme d'Athènes, elle fait partie des douze Olympiens. Elle est la déesse de la guerre, de la sagesse, des arts, des sciences et de l'invention. Elle est aussi protectrice des héros et du monde agricole. Ses attributs sont le casque, l'égide, le bouclier décoré de la tête de Méduse, la lance d'or, l'olivier, le serment, la victoire ailée et la chouette. Elle est appelée Minerve par les Romains.

  11. Eléens

    Habitants de la région d'Elide, au nord-ouest du Péloponnèse.

  12. Baal

    Terme sémitique signifiant « le maître » ou « le seigneur ». Le nom de ce dieu principal est appliqué à un grand nombre de divinités. Frère et époux d'Anath, Maître par excellence, il est le dieu des forces atmosphériques et de la fertilité, celui qui amène la pluie fertilisante et la foudre destructrice. Il est le maître des orages, des tempêtes et protecteur des marins. Il a pour voix le tonnerre et pour flèches les éclairs. Baal est généralement représenté armé d'une lance, et la tête ceinturée d'une couronne de rayons figurant le soleil.

  13. Aumale

    Nom français de la ville romaine d'Auzia, aujourd'hui Sour El-Ghozlane, en Algérie.

  14. Nymphe

    Terme emprunté du latin nympha et du grec numphê, il signifie « jeunes mariées ». Divinités féminines secondaires qui habitent les fleuves, les bois, les sources, les fontaines, les prairies et les montagnes. Bien qu'occupant dans la hiérarchie divine un rang inférieur, elles sont cependant, à l'occasion, admises dans l'Olympe et sont honorées chez les mortels d'un culte religieux. Leurs attributions sont multiples : elles ont le don de prophétie et rendent des oracles ; divinités bienveillantes elles guérissent les malades et veillent sur les fleurs, les prairies et les troupeaux. Généralement bienveillantes, elles peuvent devenir dangereuses pour les mortels, jusqu'à entraîner leur victime au fond des eaux.

  15. Maure

    Habitant de l'actuel Maroc, citoyen de la Mauritanie Tingitane.

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