Le Christianisme au patriarcat d'Antioche dans l'Antiquité tardive

Les controverses entre élites païennes et chrétiennes

La rencontre du christianisme et de l'hellénisme à Antioche et dans les territoires qui en dépendent donne lieu à une vive interaction culturelle où se jouent tous les airs de la confrontation intellectuelle. Les philosophes païens attaquent non sans attiser les persécutions. Les penseurs chrétiens réfutent. Tatien[1], Théophile d'Antioche[2] et Origène[3] représentent le genre apologétique à ses débuts. Les écrits des pères du IVe siècle ont un contenu propre et s'adressent à une élite intellectuelle qu'ils cherchent plutôt à convaincre qu'à confondre. Eusèbe de Césarée[4] dans son traité la Préparation évangélique dispose l'esprit de son lecteur à accueillir les vérités de la foi chrétienne et essaye dans sa Démonstration à emporter sa conviction. Jean Chrysostome[5] utilise tous les procédés rhétoriques et tous les arguments dialectiques pour convaincre les païens. Théodoret de Cyr[6] par son traité Thérapeutique des maladies helléniques ambitionne de guérir son interlocuteur et de l'amener à la foi.

Ces différents modes d'acculturation montrent la capacité du christianisme à intégrer des éléments nouveaux qui participent de son universalisme. Outre les noms déjà cités, l'Ecole philosophico-théologique d'Antioche rassemble des théologiens et exégètes, comme Diodore de Tarse[7], qui appliquent la méthode historique et philologique pour expliquer leur compréhension de salut, de la vie après la mort, en interprétant les Ecritures chrétiennes selon le Magistère de l'Eglise. Cette tradition antiochienne intègre également le patrimoine culturel et spirituel des auteurs syriaques dont le plus grand demeure Saint Ephrem. A leur tour les savants syriaques accomplissent une expérience culturelle étonnante. Ils traduisent le savoir grec en syriaque puis en arabe. Cette vaste entreprise de traduction profite aux Arabes, mais également à l'Occident médiéval. Aujourd'hui malgré le déclin de la métropole spirituelle Antioche, ses héritiers continuent au Proche-Orient un dialogue de vie et de culture fructueux.

  1. Tatien (v. 120-v. 173)

    Païen converti au christianisme, Tatien tente une synthèse intellectuelle entre une partie de l'héritage grec qu'il emprunte au stoïcisme et des éléments de la tradition chrétienne. Après le martyre de son maître Justin, il rompt avec le christianisme et participe de la naissance du courant des encratites. Il est l'auteur du Diatessaron, récit synthétique de la vie de Jésus à partir des Evangiles, et d'un Discours aux Grecs qui se présente comme une charge contre l'hellénisme et le polythéisme : il y expose sa conception de Dieu, de la création du monde et de celle de l'homme, de la « résurrection » et du « jugement dernier ».

  2. Théophile d'Antioche (IIe siècle)

    Evêque d'Antioche vers 168, auteur d'une œuvre intitulée A Autolycus. Païen converti au christianisme, il présente les évangiles comme les paroles inspirées de Dieu et, dans son apologétique, ne mentionne jamais la figure de Jésus.

  3. Origène (v. 185-v. 253)

    Théologien, né à Alexandrie où son père meurt en martyr lors d'une persécution antichrétienne, considéré comme un « père de l'Eglise ». Face aux auteurs païens, il se présente comme l'héritier de son maître Clément d'Alexandrie et ses mérites, qui lui valent de nombreux disciples, sont vantés par son biographe Eusèbe de Césarée. Son œuvre littéraire est abondante, elle se fonde sur une lecture systématique –en hébreu et en grec- de la Bible, donnant lieu à un commentaire érudit et, pour partie allégorique.

  4. Eusèbe de Césarée (v. 265- v. 340)

    Il se forme auprès de Pamphile le plus docte des disciples d'Origène. Il fuit à Tyr puis en Egypte lors de la persécution de Dioclétien et ne retourne en Palestine que pour se ranger aux côtés d'Arius. Le synode d'Antioche de 325 le réprouve. Sa signature de la condamnation d'Arius à l'issue du concile de Nicée le réhabilite, mais elle satisfait plus le désir de Constantin que sa conviction. Fort de l'amitié de Constantin, il a le projet de se retourner contre les évêques nicéens. Son œuvre monumentale touche tous les genres : théologie, exégèse, histoire, apologétique.

  5. Jean Chrysostome (v. 354-407)

    Archevêque de Constantinople en 397, son nom signifie « Bouche d'Or ». Né à Antioche, dans une famille aristocratique qui confesse la foi chrétienne, il est éduqué dans la culture grecque. Dans ses jeunes années, il est sujet de vexations de la part des disciples d'Arius mis au ban des communautés chrétiennes. Il met ses compétences au service de l'inscription du message évangélique dans la société et entend défendre une orthodoxie doctrinale même si certaines de ses positions sont considérées comme discutables par ses adversaires. Il se heurte, à plusieurs reprises, au pouvoir politique.

  6. Théodoret de Cyr (393-466)

    Théologien de l'école d'Antioche et écrivain de renom, Théodoret joue un rôle prépondérant lors des deux conciles d'Ephèse et de Chalcédoine. Élu évêque de Cyr en 423, il se présente comme un pasteur qui, au-delà de son évêché, connaît l'Antiochène et la Mésopotamie. Il laisse une œuvre importante qui comprend plusieurs traités théologiques, divers commentaires exégétiques, deux histoires -l'une pour l'Eglise, l'autre pour les moines-, plusieurs ouvrages apologétiques et une correspondance abondante. Condamné deux fois, une partie de son œuvre se perd dans la foulée. Lettré imprégné des sciences grecques, il est célèbre pour avoir expliqué les mystères chrétiens avec clarté et consigné les faits historiques. Selon la tradition chrétienne orientale, il a écrit la vie de l'anachorète Maron et de ses compagnons, il est ainsi considéré comme l'un des pères fondateurs de l'Eglise maronite issue de Chalcédoine.

  7. Diodore de Tarse (330-394)

    Evêque de Tarse, en Cilicie, exégète et initiateur de ce qui a été appelé « l'école d'Antioche ». Laïc puis prêtre à Antioche, il dirige une « maison d'ascètes » et s'engage dans la mobilisation de l'Eglise chrétienne, dont la dogmatique a été précisée au concile de Nicée, notamment contre les évêques ariens désignés par l'empereur Constance. Il participe au concile de Constantinople en 381. Il est l'un des maîtres de Jean Chrysostome.

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