La constitution de Carthage selon Aristote

Ce chapitre, qui paraît à certains nettement plus récent que les précédents, ne suit pas la même ligne que les développements sur Lacédémone et la Crète, mais reprend en partie le plan énoncé au début du chapitre IX et, sans se préoccuper de l'aspect social, examine, d'une façon plus précise, les problèmes juridiques et politiques que pose le régime carthaginois. Cette constitution de Carthage, supérieure à d'autres sur bien des points, à plusieurs traits de ressemblance avec celle de Lacédémone : repas en commun, magistrature des Cent quatre, gérontes, rois. Malgré une classe populaire nombreuse, Carthage reste attachée à son gouvernement, et c'est la preuve d'une bonne constitution. Carthage, à en juger d'après son principe de base, semble une aristocratie qui incline tantôt vers la démocratie, tantôt vers l'oligarchie. Sont démocratiques les prérogatives de l'Assemblée –qui a pouvoir souverain de décision, lorsque rois et gérontes ne sont pas d'accord- et le droit de parole accordé à tout citoyen. Sont aristocratiques le non-payement des magistrats et leur compétence générale en matière judiciaire ; son oligarchiques au contraire le recrutement des pentarchies par cooptation, le choix des Cent quatre par les pentarchies, la longue durée du pouvoir des Cent, la gratuité des magistratures, le choix par élection et la compétence universelle des différents corps de magistrats. Le trait oligarchique le plus marquant est le fait qu'on a égard non seulement au mérite, mais aussi à la fortune pour le choix des magistrats, surtout les plus élevés : rois et généraux.

Cette vénalité des charges est pleine de danger : il ne peut y avoir de constitution de ce genre vraiment solide, là où la vertu n'est pas prisée au-dessus de tout : comme le gouvernement par son attitude détermine l'opinion des autres citoyens, la cité entière devient avide d'argent. Le cumul des fonctions est un autre vice de cette constitution ; quand la cité n'est pas trop petite, c'est une erreur de permettre qu'une même personne tienne plusieurs emplois différents. Le gouvernement de Carthage remédie aux inconvénients de cette tendance oligarchique : pour prévenir le mécontentement du peuple, il envoie successivement diverses parties de la classe populaire s'enrichir dans les villes sujettes ; mais ce n'est que l'effet du hasard et les lois actuelles, en cas de révolte ou d'invasion, seraient impuissantes à maintenir la paix intérieure.

ARISTOTE, Politique, Livre I et II, texte établi et traduit par Jean Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, 1960, p. 49-50.

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