Note aux représentants d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie. Organisation administrative du Mont-Liban (22 rédjeb 1261)

Du ministre des affaires étrangères (Chékib-éfendi) de la Sublime-Porte aux représentants d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, en date du 28 juillet 1845 (22 rédjeb 1261), de Testa, III, p.68-73.

Sa Hautesse le sultan, dans sa sollicitude paternelle pour ses peuples, cherche, comme tout le monde le sait, à trouver et à compléter les moyens d'assurer le bien-être, la tranquillité et la sécurité de toutes les classes des sujets placés à l'ombre de son autorité équitable. Il a voulu que les habitant du Mont Liban partipassent aussi à ces bontés, et des marques de bienveillance et de faveur de toute espèce leur ont été accordées, leurs anciens privilèges locaux ont été maintenus, et l'administration de la Montagne a été placée sous une forme particulière. De plus, pour qu'il ne restât aucune cause de contestation, il a été permis récemment qu'outre les moukataadji dans chaque village dont la population est composée de Druzes et Maronites, ces derniers eussent aussi un vékil, et ordre a été donnée à qui de droit de mettre promptement cette mesure à exécution.

Le gouvernement de Sa Hautesse a donc pensé que les circonstances demandaient qu'un homme pénétré de l'importance véritable de cette affaire et des intentions pures de la Sublime Porte se rendit en mission spéciales et absolue et avec une force complète dans le Liban, au foyer de ces affaires, pour les régler et les terminer sans laisser subsister aucune cause de difficulté ou d'observations nouvelles. Or, le ministère des affaires étrangères, étant depuis quelque temps le centre des délibérations et de l'action que nécessite cette question, se trouve naturellement le protecteur de la décision prise ici. En conséquence, j'ai été chargé par Sa Hautesse, et je me fais un honneur de l'annoncer à Votre Excellence, de une me rendre moi-même en Syrie, en mission spéciale et absolue pour régler promptement et complétement l'affaire, et montrer qu'il n'est plus resté un point sujet à hésitation et à contestation d'aucune sorte.

Appliquer pleinement et entièrement les arrangements et ceux arrêtés plus récemment au sujet de l'administration locale, tout en préservant les privilèges particulier accordés par S.M. le sultan ; parvenir à assurer, en tout état de choses, la paix du pays et la tranquillité des sujets du gouvernement : tel est le fond de la question, tel est le but de ma mission. Pour en faciliter l'exécution, il faut, comme je l'ai dit plus haut, avoir à montrer une force capable d'intimider et que, quels que soient ceux qui refuseraient d'accepter la susdite décision, ils auraient appelé contre eux-mêmes l'emploi effectif de ces forces. Le gouvernement souhaite que ce cas ne se présente pas ; mais il est nécessaire de mettre les forces coercitives qui se trouvent dans la Montagne en état d'aider à atteindre le but qu'on se propose. En conséquence, il a été donné ordre à S. Exc. Namik-pacha, muchir du camp impérial de l'Arabie, de prendre dans l'armée régulière placée sous son commandement la quantité de troupes nécessaires, de se rendre avec elles dans le Liban, d'occuper les positions militaires convenables et d'y faire des mouvements qui nécessiteront les circonstances et les indications que je lui donnerai. Si l'on considère d'un œil d'équité les mesures puissantes et efficaces que le gouvernement s'attache à prendre, on verra que la mission que j'ai reçue, comme ayant l'honneur de faire partie du ministère de Sa Hautesse, de régler complètement et sans hésitation cette question, conformément aux pensées pures du gouvernement de SA Hautesse, contribuera à hâter le moment de la solution. On verra aussi que l'adjonction de Namik-pacha et la force d'intimidation qui sera déployée prouveront aux habitants de la Montagne la nécessité de rentrer dans les bornes de l'obéissance. Quant aux indemnités, elles ont été précédemment accordées dans l'intention de montrer que sa Hautesse peut employer la force comme la bienfaisance, et de prouver que le but des mesurer prises par son gouvernement était uniquement, tout en faisant voir sa puissance à quelques habitants imprudents qui ignoraient leurs propres intérêts, d'accorder une faveur et une marque de générosité. La décision prise aujourd'hui de faire distribuer ne portion de ces indemnités, en même temps que l'on commencera à s'occuper de la question, et de donner le reste après le règlement de l'affaire, fournit une nouvelle preuve des pensées équitables du gouvernement de Sa Hautesse. Les habitants du Liban comprendront que plus ils se conformeront aux devoirs de l'obéissance et de leur condition de sujets, plus ils obtiendront de marques de bienveillance et de grâces de Sa Hautesse. Cette considération, comme l'ensemble des mesures qui précèdent, doit amener la solution prompte et définitive de la question. Comme les diverses classes des habitants de la Montagne, trouvant un appui moral sous des formes différentes lorsqu'elles hésitent à accepter les ordres de la Sublime-Porte, y résistent et se portent à des actes qui troublent la tranquillité du pays ; comme, d'un autre côté, lorsqu'on exécute en Syrie les décisions prises ici, les consuls témoignent des doutes, prétendant discuter de nouveau, et font surgir ainsi des difficultés ; comme la décision prise cette fois ne sera changée d'aucune manière, et la mission que j'ai à exécuter en personne le témoigne assez, il est important que les consuls ne se mêlent en aucune façon de ce que je dirai, et s'abstiennent de s'ingérer dans l'affaire, et pour le fond et pour la forme. Convaincu que je suis que l'assistance morale désirée de Votre Excellence dans cette affaire se produira conforme à la demande de la Sublime-Porte, j'ai l'honneur d'appeler votre sollicitude sur l'exécution de tout ce qui est nécessaire.

Pour ce qui regarde l'hésitation et les retards qui ont eu lieu dans l'exécution effective de la dernière décision prise au sujet des villages mixtes, on peut vraisemblablement supposer qu'ils proviennent de ce que l'on n'a pu comprendre convenablement sur les lieux la mesure des attributions des moukataadji et des vékil maronites. Pour que, dans cette matière aussi, il n'y ait plus dans le Liban aucun motif de discussion, il est nécessaire de dissiper ici les doutes. Je vais doc exposer et développer maintenant en quoi consiste l'intention de la Sublime-Porte à cet égard.

Dans l'administration des villages mixtes, il y a trois choses :

  1. Les questions de droit (houkoukié) ;

  2. Les affaires administratives (siasié) ;

  3. Le pouvoir exécutif (police) (zaptié).

Quant à la première catégorie, tout procès ou contestation entre individus de la même nation sera jugé uniquement par son vékil. Si l'un appartient à une nation et sa partie adverse à l'autre, le vékil de l'un et le moukataadji de l'autre jugeront de concert le différend survenu entre eux. Il y aura recours au kaimakam s'ils ne peuvent pas s'accorder. Sur les points d'administration, c'est-à-dire dans les affaires générales, telles que l'exécution des ordres envoyés par le gouvernement ou émanés du gouverneur de la province et la perception des revenus du pays, les vékil seront vis-à-vis de leur nation les intermédiaires des moukataadji, pour l'exécution des ordres et le maintien des défenses. Quant au pouvoir exécutif (police), comme le partage de cette manière peut en gêner l'exercice, les vékil ne pourront y être associés, et, suivant ce qui se pratique partout, le soin de maintenir et de réprimer sera, dans ce cas aussi, confié aux seuls moukataadji. Mais lorsque le moukataadji arrêtera et mettra en prison une personne d'une autre nation pour la punie, l'exécution du châtiment qu'elle aura mérité sera disposée et aura lieu de concert avec le vékil, et, s'il u a dissentiment à cet égard, on recourra aux kaimakam : les vékil auront le droit de veiller à ce que l'homme incarcéré ne subisse aucun mauvais traitement avant que l'exécution de son châtiment ne soit arrêtée.

Ces dispositions sont conformes non-seulement aux principes de justice et d'équité, mais à l'ensemble du règlement administratif du pays. Veiller à leur pleine et entière exécution, rechercher le crimes individuels, tels que les meurtres qui ont eu lieu de temps à autre dans la Montagne avant les dernières discordes, et que les susdits événements fâcheux ont empêché de punir, et châtier au plus tôt les coupables : tels sont les points que la volonté du gouvernement de Sa Hautesse est aussi déterminée à atteindre et qui sont compris dans la mission dont je suis chargé. J'ai l'honneur d'annoncer à Votre Excellence que je pars dans quelques jours pour aller remplir ma mission. Je chercherai, autant qu'il est en moi, à exécuter les volontés bienfaisantes de Asa Hautesse le sultan, mon souverain. Comme les puissances amies sincères de la Sublime-Porte, mues par leurs sentiments de bienveillance bien connus à son égard, ont aussi à cœur de voir se consolider la tranquillité de la Montagne, et que la décision prise cette fois par le gouvernement de Sa Hautesse est évidemment un moyen puissant pour atteindre ce but si désiré, j'ai l'honneur de demander à Votre Excellence, comme disposition liée aux résolutions ci-dessous énoncées, de vouloir bien me faire remettre ouvertes, et pour être consignées par mon entremise, les instructions formelles qu'elle donnera à son consul à Béirout.

Le 22 rédjet 1261

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