Migrations religieuses (XVIe–XIXe siècles)

Introduction

Les origines des quatre flux migratoires étudiés dans l'espace euro-méditerranéen sont diverses par le poids des éléments qui entrent en ligne de compte. Pour déterminant qu'il soit, notamment dans les cas espagnols et français, le facteur religieux est loin d'être suffisant à lui-même. Unité du « peuple chrétien » et unité de la « umma islamique », il y a certes, dans ces représentations, des formes d'appartenance qui mobilisent effectivement des populations entières, mais elles ne sont ni toujours ni partout opératoires. Surtout, elles entrent en concurrence avec d'autres formes de solidarité. Il importe donc de rompre avec les historiographies confessantes qui négligent, en traitant des événements traversant plus de quatre siècles, les divergences entre monarchies chrétiennes confrontées à la poussée de l'Empire ottoman ou la volonté de ce même Empire de soumettre à son autorité des sociétés majoritairement musulmanes qui ont, avec plus ou moins de vigueur, combattu ses armées.

Il n'en reste pas moins que, jusqu'à l'orée des temps contemporains, la religion bien davantage que la nationalité, constitue le ciment d'une communauté d'hommes qui se conçoivent comme peuple. Dans les mentalités d'alors, la devise unitaire confessionnelle s'impose d'autant mieux que ceux qui parlent au nom de la religion – celle-ci ayant pour fonction de mettre l'humain en relation avec la vérité ultime professée –, refusent de transiger : dès lors que la vérité est postulée comme unique, elle ne se laisse à l'évidence pas négocier. C'est là une considération qui distingue radicalement la mentalité d'Ancien Régime des transformations ayant émergé au cours des deux derniers siècles : en principe, un président de la République française peut confesser personnellement n'importe quelle foi, mais il doit être de nationalité française. Une telle observation n'est cependant pas valable universellement.

Le cadre problématique étant posé, justifiant avec pondération l'expression de « migrations religieuses », la question se pose de l'estimation de la minorité visée. Les sources sont d'un traitement très délicat sur ce point : un auteur visant une minorité peut, tel Saint-Simon, gonfler son importance en vue de mettre en évidence un danger potentiel ou, à l'inverse dans le cas ottoman, sous-estimer le nombre des migrants pour manifester la force de la majorité. Combien, donc ? 200 000 juifs et peut-être le double de musulmans, 150 à 200 000 protestants français, des dizaines de milliers de catholiques irlandais, jusqu'à 100 000 Shawâm pour l'essentiel melkites et maronites. Ces nombres disent finalement peu. D'abord parce que la valeur absolue doit être rapportée à l'importance de la population d'origine, ensuite parce que les modalités du départ connaissent de singulières variations. Mais, dans chacun de ces cas, les conséquences économiques et culturelles sont très importantes.

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