Mémoires d'un galérien du Roi-Soleil

Le jour même de mon arrivée, on donna la bastonnade à un malheureux forçat : on fait dépouiller tout nu, de la ceinture au haut, le malheureux qui doit la recevoir ; le ventre sur le coursier de la galère, ses jambes pendantes et ses bras à l'opposite, on lui fait tenir ses jambes par deux forçats et les bras par deux autres ; et le comite (celui qui commande les cadences de rame) est derrière lui qui frappe un robuste Turc pour l'animer à frapper de toutes ses forces avec une grosse corde sur le dos du pauvre patient... Après le barbier vient lui frotter le dos tant déchiré avec du fort vinaigre et du sel pour faire reprendre la sensibilité à ce pauvre corps et pour empêcher que la gangrène ne s'y mette.

Je me suis trouvé avoir ramé à toute force pendant 24 heures sans nous reposer un moment... Pour lors on n'entend que les hurlements de ces malheureux ruisselants de sang par les coups de corde meurtriers qu'on leur donne... Et lorsqu'un de ces malheureux forçats crève sur la rame, on le jette à la mer comme une charogne.

Blessé au cours d'une bataille navale, on m'emporta à fond de cale... A cause du grand nombre de blessés, je fus trois jours sans être pansé qu'avec un peu d'eau de vie camphrée que l'on mit sur une compresse pour arrêter le sang sans aucun bandage ni médicament. Les blessés crevaient comme des mouches dans ce fond de cale où il faisait une chaleur à étouffer et une puanteur horrible. On me sortit de là, de même que plusieurs autres, avec le palan à poulie, comme des bêtes.

Jean MARTEILHE, Mémoires d'un galérien du Roi-Soleil (1757), éd. André ZYSBERG, Paris, Mercure

de France, 1989 (cf. http://www.henrydarthenay.com/categorie-10256654.html)

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